Deuxième « Création Originale » orchestrée par Canal + après Engrenages, Braquo boucle sa boucle sept ans après son premier épisode. Olivier Marchal, ancien flic devenu acteur, scénariste et réalisateur à succès (Quai n°1, 36 quai des Orfèvres, MR73) met en 2009 un coup de pied dans la production française et dépoussière sérieusement le genre du polar. Une histoire comme l’auteur en connait tant, celle de flics pris au piège de leur métier dans un quotidien rempli de truands, de flingues et de morts.
Braquo commence sur un drame, le suicide d’un policier accusé d’un crime qu’il n’a pas commis. Son équipe – avec Eddy Caplan (Jean-Hughes Anglade) en tête – décide de faire la lumière sur cette affaire et laver l’honneur de leur ancien collègue et ami, quitte à franchir la ligne jaune et adopter les méthodes des voyous qu’ils poursuivent habituellement.
Bien qu’imparfaite, la saison 1 de Braquo fait l’effet d’une tempête. Jamais on n’a vu de flics de ce calibre à la télévision française. Pas méchants, mais farouchement décidés à accomplir leur mission, Caplan et ses camarades deviennent vite hors-la-loi, s’acoquinant avec des tueurs, participant à un « braquo » (braquage en argot policier) foireux, négociant avec des gens peu fiables des infos ou du matériel qui leur servira à « laver » leur ancien chef. Le doigt dans l’engrenage, Caplan, Walter Morlighem (Joseph Malerba), Roxane Delgado (Karole Rocher) et Théo Wachewski (Nicolas Duvauchelle) ne trouveront plus la sortie de cette spirale infernale.
C’est d’ailleurs ce qui va poser problème très rapidement. Il faut peu de temps pour comprendre qu’une connerie va en entraîner une autre, qui va en entraîner une autre, qui va en entraîner une autre… Le processus, acceptable une partie de la première saison, va être étiré jusqu’à la conclusion de la série. Cela devient donc vite usant. Surtout, on ne comprend plus pourquoi les personnages sont décidés à s’enfoncer autant dans des situations qu’ils savent hors de contrôle. Une saison ça va, quatre saisons, bonjour les dégâts.
Après l’abandon d’Olivier Marchal en pleine préparation de la deuxième saison, Abdel Raouf Dafri, scénariste auréolé du succès du film Un prophète, reprend les rênes et va accentuer ces comportements erratiques et souvent incohérents avec ce qui faisait la force des personnages à l’entame. Pas forcément sympathiques, mais pouvant susciter l’empathie par la solidarité qui se dégage du groupe et l’abnégation dont ils font preuve, ces flics vont rapidement devenir détestables, ou pire, carrément chiants.
Il suffit de voir Roxane Delgado errer presque sans but pendant la deuxième moitié de la série pour constater l’impuissance du scénariste à maintenir des constantes sur ces personnages. C’est d’autant plus dommage pour Roxane en particulier que la série ne regorge pas de femmes (série de flics = séries d’hommes ?) et que la seule qui ait de l’importance soit aussi mal traitée narrativement. Quand on s’en occupe enfin, c’est pour la ramener à son statut de femme/compagne/mère et non à celui de policière. Complètement désolidarisée du groupe ou de ce qu’il en reste, Roxane Delgado est sans doute le plus gros gâchis en termes de développement de personnages.
Les autres ne sont cependant pas en reste. Walter par exemple, parce qu’il a une famille et va tout faire pour la protéger, prend nombre de décisions plutôt idiotes, qui la met en danger plus qu’autre chose. Si la série ne vise jamais le réalisme, elle pourrait cependant éviter l’accumulation de clichés et de facilités. Besoin de connaître un peu plus un personnage pour le rendre plus humain ? Faisons apparaître un membre de sa famille. Besoin de créer de l’émotion et du danger ? Menaçons des enfants. Le dispositif est voyant et manque grandement d’imagination.
Raouf Dafri écrit tout et ça se voit. Les dialogues ressemblent plus à une recherche permanente de punchlines bien senties qu’à des échanges entre personnages. Essayant de livrer par endroits des commentaires sociaux et/ou sociétaux, l’auteur passe en force et fait souvent du hors-sujet. Cela peut-être marrant, c’est surtout complètement vain. Sous prétexte de créer des figures vaguement mythologiques (les âmes damnées par la noirceur de leurs actions, celles qui cherchent la rédemption malgré leurs erreurs, les sacrifiés pour la noble cause…), les textes sont beaucoup trop théâtraux et ampoulés.
On déchante finalement très vite avec Braquo. D’un show unique en son genre pour le public français, la série devient rapidement insipide, prévisible et malheureusement banale. La faute à, entre autres et comme d’habitude, un système de production française qui n’encourage pas maintenir l’intérêt : huit épisodes tous les deux ans rend par exemple difficile de se passionner pour Prologue (saison 3, épisode 6) qui nous ramène aux prémices de la série, pour nous montrer comment et pourquoi tout est parti en couilles. Un peu tard pour cela.
Reste une série d’action efficace sans être révolutionnaire, mais rythmée et dirigée par des réalisateurs de film de genre (Manuel Boursinhac, Xavier Palud, Éric Valette) et pour certains passés par la grande sœur Engrenages. Fusillades en pleine rue, assauts en pleine nuit, opérations musclées et morts régulières, l’arsenal du genre est présent tout entier et maintient une certaine unité de ton sur ces 32 épisodes. Mais la série promettait tellement plus qu’au final, avec le temps passé à regarder Braquo, on a un peu le sentiment de s’être fait volé…
Joyeux Noël avant l’heure pour les fans de Braquo, l’intégrale de la série est déjà disponible en DVD.