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Séries Ad Vitam Saison 1 : À regarder pour l’éternité

Ad Vitam Saison 1 : À regarder pour l’éternité

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ad vitam serie arte - Ad Vitam Saison 1 : À regarder pour l’éternité

Malgré quelques qualités, Trepalium diffusée en 2016, nous avait un peu refroidis quant à la capacité de la chaîne franco-allemande à produire des séries exigeantes, maîtrisées et réussies. Puis Transferts est arrivée l’année dernière et avait rebattu les cartes de la fiction d’anticipation, vue à échelle humaine et avec des partis pris, notamment de réalisme, forts. Essai transformé avec Ad Vitam donc, qui pourrait se situer dans le même univers. Ces deux séries partagent en tout cas un bel amour de l’anticipation, un attachement à des personnages puissants, et une vision du monde qui nous interrogent sur notre futur, et de ce fait, sur notre présent.

Arrivé du cinéma par la grande porte avec le succès public et critique Les Combattants (César du premier film), Thomas Cailley livre ici sa première série, et seulement deuxième œuvre. Ad Vitam confirme le talent du réalisateur et scénariste qui officie comme créateur et est aux manettes de ces six épisodes, accompagné à la réalisation de Manuel Schapira.

Dans un futur indéterminé où la vieillesse n’est plus qu’un lointain souvenir et où la régénération cellulaire ne prend pas plus de temps qu’une séance d’UV, la population s’interroge sur sa jeunesse. Doit-on contrôler les naissances ? Peut-on refuser la régénération et continuer à vieillir ? Mais certains jeunes ont une réponse. Dans un monde où l’on ne peut plus vieillir, se donner la mort serait-il un acte de résistance ? Alors qu’une vague de suicides collectifs terrorise le pays, Darius, policier de 119 ans, doit enquêter. Il se rapproche de Christa, 20 ans, ancienne membre d’un mouvement de jeunes refusant la régénération, et survivante d’un premier mouvement de suicide dix ans plus tôt…

Sur un principe connu du polar sombre avec un couple antinomique plongeant toujours plus profond dans les tourments de l’âme humaine, Ad Vitam trouve très vite son ton et affirme son identité. Dans un territoire à la géographie jouant la confusion (la mégalopole rappelle les cités ultra-technologiques asiatiques comme les villes balnéaires méditerranéennes), la série balade ses personnages dans de nombreux univers différents. Ad Vitam revêt tour à tour les aspects du polar évidemment, mais aussi du road movie ou d’une origin story d’un personnage secondaire, sans que cela ne gêne jamais la progression du récit.

Sûr de sa narration, Thomas Cailley peut alors dérouler une mise en scène incroyable. Dans un futur assez proche de notre présent et alternant des séquences de boîtes de nuit surexposées de bleu ou de violet à d’autres plans de désert ou de montagne, Ad Vitam convoque Blade Runner ou Sueurs Froides. Mais ces références ne servent en aucun cas de caution à l’auteur. L’histoire est unique et interroge avec un propos glaçant une société qui n’a plus qu’une seule peur, celle de mourir.

Recourir au genre de l’anticipation n’a de sens que si cela permet de remettre en cause nos propres modes de vie actuels et questionner sur nos croyances et nos acquis. Ici, pour ces personnes qui se tuent avant leur première régénération (autorisée à la nouvelle majorité, 30 ans), on parle d’une jeunesse perdue, radicalisée, à qui le politique n’a pas su parler. Le terme de terrorisme est prononcé sans ambiguïté et il n’en faut pas moins pour évoquer le monde contemporain. Le suicide, malheureusement banal aujourd’hui, est ici devenu un acte marginal et à consonance politique, perpétrée par une génération laissée de côté et récupérée par des institutions (religieuses, mais pas que) qui leur serviront ni plus ni moins de chair à canon…

Cette jeunesse « sacrifiée », c’est à Garance Marillier, révélation du brillant film Grave, qu’échoit la responsabilité de l’incarner. De sa jeunesse à la fois téméraire et fragile, elle pose un regard dur face au flic qui l’accompagne (Yvan Attal, sobre et efficace), ou perdu face à l’horreur qu’elle découvre au fur et à mesure de l’enquête. La série la suit de près, très près, et la voit s’affirmer d’épisode en épisode pour livrer une composition parfaite.

Terrorisme, religion, transhumanisme, déviances économiques, famille… Ad Vitam n’a peur d’aborder aucun sujet. Elle enfonce même le clou dans un épilogue vertigineux, lequel donnerait à réfléchir à tous les dirigeants du monde, et notamment des pays occidentalisés qui succombent à un à un au populisme. Car le sort des jeunes du futur d’Ad Vitam sera peut-être celui de nos jeunes dans notre futur. Alors, place à la jeunesse, vraiment ?

Ad Vitam, deux épisodes tous les jeudis du 8 au 22 novembre sur Arte et en intégralité sur arte.tv.