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Séries Boardwalk Empire : Plus qu’une histoire de gangsters

Boardwalk Empire : Plus qu’une histoire de gangsters

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PeakTV - Boardwalk Empire : Plus qu’une histoire de gangsters À l’ère du Peak TV, Critictoo se lance dans un challenge « 52 semaines, 52 séries » en proposant une fois par semaine un retour sur une série terminée.

Après avoir révolutionné la télévision avec The Sopranos et avant de brûler les billets pour un monde de fantasy avec Game of Thrones, HBO offrait à ses téléspectateurs une promenade dans l’histoire mafieuse d’Atlantic City avec Boardwalk Empire, diffusée entre 2010 et 2014 pour un total de 5 saisons.

Boardwalk Empire commence en 1920, lorsque la prohibition entre en rigueur et qu’une nouvelle période de prospérité s’amorce à Atlantic City où l’alcool coule à flots. Nucky Thompson (Steve Buscemi) dirige les affaires de la ville et touche sa part sur tout, légal ou illégal. S’ensuit un récit inspiré par des faits réels qui nous relate l’évolution de Nucky, de politicien corrompu à véritable gangster, durant les années 1920.


Développée par Terence Winter — ayant fait plus que ses armes sur la précédente série mafieuse de HBO —, Boarwalk Empire est d’abord présentée comme une de ses ambitieuses productions, voire trop en ce temps-là. Le défi principal résidait dans la construction de la fameuse promenade d’Atlantic City, un décor qui aura coûté 5 millions de dollars, et qui sera utilisé jusqu’au dernier épisode. Pour le pilote, Winter collabore avec Martin Scorsese, le réalisateur n’avait rien fait pour la télévision depuis Amazing Stories en 1986.

Si dépenser sans compter et avoir un gros nom derrière la caméra est presque une sorte de norme de nos jours — ou en tout cas ne suscite pas la moindre surprise —, cela n’était pas encore le cas à l’époque de Boardwalk Empire. La série arrivait donc avec un certain pedigree et se voulait l’évènement de la rentrée 2010 sur HBO.

Engagé sur le projet avant Terence Winter, Martin Scorsese établira le style de la série que les autres réalisateurs émuleront par la suite, s’impliquera dans le choix des acteurs et offrira un retour créatif sur ce qui est développé à l’écran.

Boarwalk Empire multipliera alors les plans où les personnages occupent un côté du cadre spécifique, bien avant que cela ne devienne plus commun sur le petit écran. Un procédé pour mieux représenter l’état d’esprit du personnage, son isolation, sa solitude, sa vulnérabilité. C’est une série qui choisit avec soin les objets/accessoires/éléments du décor à mettre en valeur, ainsi que la couleur de son image, la profondeur de champ et l’éclairage donnant le jour à une image précise nous véhiculant les idées et intentions de ses personnages. Près de 5 ans après sa conclusion, Boarwalk Empire peut encore évoquer des images embuées par la fumée de cigarettes et d’ombres hantant ses figures les plus tragiques.


Si Boarwalk Empire peut être vue comme une véritable leçon de maitre sur la manière de créer une image envoûtante, à l’orchestration d’une scène aux relents épiques malgré qu’il se joue un drame familial, elle est une œuvre définie par des personnages aussi complexes que fascinants, des figures historiques à la répartie légendaire, et un don certain pour donner vie à des hommes et des femmes que l’on admire autant que l’on peut détester.

Au centre de la série se trouve donc Nucky Thompson, inspiré par le gangster Enoch L. Johnson. Issu d’une famille pauvre, Nucky est trésorier d’Atlantic City lorsque la série commence et un homme qui, bien que cherchant à éviter la violence, saura embrasser la corruption et ce qui en découle pour continuer son ascension.

Si Nucky est le genre de personnage qui représente comme il se doit l’ère « anti-héros » des années 2000-2010, il fut assez discret. Souffrant parfois trop de comparaison, dans l’ombre de ses prédécesseurs, représentant d’une époque passée, Nucky Thompson se révèle être une figure politique fascinante, expression d’une enfance tragique et d’une brillante ascension sociale, marquée par des choix immoraux. Boardwalk Empire l’illustre sans détour : la ligne entre un politicien et un gangster est fine, voire inexistante. Car pour survivre en tant que l’un, il est nécessaire d’être l’autre. Le talent de Machiavel de Nucky joue de ce parallèle avec brio. L’homme expose publiquement un visage plus humain alors qu’il envoie ses hommes de main faire le sale travail. Cela n’empêchera pas Nucky de passer lui-même à l’acte, son succès dans le milieu dépendant de son adaptabilité et de son impitoyabilité. L’évolution de Nucky Thompson est jalonnée par des moments où il doit décider si oui ou non il peut vivre avec ses vices, ses crimes pour réussir à atteindre le niveau qu’il vise.


Tout au long de la série, Nucky interagit dans sa vie privée et professionnelle avec des figures historiques ou inventées – mafieux, politiciens, agents gouvernementaux et plus. Autour de la lui gravite ainsi des figures qui on façonné l’univers de Boarwalk Empire, qui prend souvent la forme d’une véritable tragédie existentielle.

Elle multiplie les figures tragiques dès ses débuts, à commencer par Jimmy Darmody (Michael Pitt). Fils spirituel de Nucky, Jimmy est un homme qui est emprisonné par son passé — sa famille et la guerre dont il est revenu traumatisé à vie. Il est à la fois une création involontaire de Nucky et d’un système défaillant. Symbole de la transformation de Nucky en criminel assumé, Jimmy représente la dualité de son mentor et la cruauté qui définit la série. À ses côtés, on retrouve Richard Harrow (Jack Huston), frère d’armes au visage défiguré, encerclé par la mort et aussi instrument de la mort.

Pour une touche de féminité, Margaret (Kelly Macdonald) fut LE personnage féminin de Boarwalk Empire, une épouse prise dans un mariage abusif qui se tournera vers Nucky pour obtenir de l’aide et s’extirper de son existence avant de se retrouver emprisonné dans un autre type de vie. Dans Boarwalk Empire, les personnages se réinventent, mais ne peuvent pas éternellement échapper à leur passé et doivent apprendre à faire face à leurs démons ou perdre. Dans ce registre, l’histoire de l’agent Nelson Van Alden (Michael Shannon) se révèle particulièrement riche en retournements.

Évidemment, Boarwalk Empire est mémorable pour ces nombreuses figures mafieuses qui ont donné le jour à des moments d’anthologie. Le fictionnel Gyp Rosetti (Bobby Cannavale), plus grand que nature ; le racketter et loyal allié de Nucky, Chalky White (Michael Kenneth William) ; l’insupportable et pourtant indispensable Mickey Doyle  (Paul Sparks) ; le calme et aimable Arnold Rothstein (Michael Stuhlbarg) ; le légendaire Al Capone (Stephen Graham), à la hauteur du mythe ; ou encore l’ambitieux Lucky Luciano (Vincent Piazza), aussi intelligent qu’opportuniste.


C’est un univers riche et complexe qui émerge, Boardwalk Empire se révélant vite appartenir aux productions qui ne craigne pas de prendre des risques pour son histoire. La notion de famille occupe naturellement une place de choix dans la série de Terence Winter, qui explore les multiples définitions du mot. Celle biologique que l’on n’a pas choisie et que l’on ne peut vraiment se débarrasser même en brûlant tout ou encore la mafia, à laquelle il faut rendre des comptes, mais aussi les frères d’armes pour lesquels on est prêt à mourir. Le récit est ponctué d’alliances et de trahisons, au fil des saisons et montre comment les liens se créent et se défont, dans un monde où l’argent et le sang sont omniprésents.

Les scénaristes de Boarwalk Empire possèdent d’ailleurs un don certain pour le monologue, ne craignant pas de laisser ses personnages parler plus que de raison pour mieux analyser l’existence et tout ce qui va avec. Ce qui aurait pu se présenter dès lors comme une sorte de complaisance excessive participe à élever la série. Les discours, finement écrits, amplifient souvent la nature du personnage. Qu’on ne croit pas que cela empêche Boarwalk Empire de faire preuve d’un certain humour, les scénaristes n’étant pas dénuées d’un sens de la réplique aiguisée.

Tout cela a fait de Boardwalk Empire une série de gangsters qui a su gagner ses galons auprès des plus grands. Avec un sens du style et une plume aiguisée, capable de se montrer théâtrale sans pour autant devenir grossière, Boardwalk Empire est une série aux images qui marquent la rétine et aux personnages complexes aussi dangereux qu’imprévisibles et émouvants.

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