AMC aime ses drames de prestige et ce n’est pas la désormais regrettée Halt And Catch Fire qui va contredire cette prétention. Lancée en 2013 par Christopher Cantwell et Christopher C. Rogers, ce period drama a connu quatre magnifiques saisons et quarante épisodes, et mérite tout le succès public (très confidentiel, certes) critique qu’elle a eu. Mais pourquoi ?
Début des années 1980, Dallas. Le monde s’apprête à changer par les mains d’une petite entreprise texane, Cardiff Electric, qui va lancer le marché des ordinateurs « compatibles ». Joe MacMillan (Lee Pace) claque la porte d’IBM et rejoint Gordon Clark (Scoot MacNairy), sa femme Donna (Kerry Bishé) et Cameron Howe (Mackenzie Davis) pour révolutionner le marché informatique.
Cette fine équipe va alors collaborer pour le meilleur et pour le pire, participant à construire le monde de demain par le numérique. Entre les égos des uns, les difficultés relationnelles des autres et les bâtons dans les roues mis par leurs adversaires, cela ne sera pas une tâche aisée pour eux de développer leur projet malgré leur talent certain.
La série met du temps à se mettre en route, à savoir où elle veut aller. Si la première saison se perd en métaphores sur ses personnages et se concentre trop sur Joe à travers l’image qu’il renvoie et son arrogance, la saison 2 dévoila alors toute la mélancolie qui se cache derrière cette exploration du monde émergeant de l’informatique.
Et cela passe alors par une mise en avant des deux principaux atouts de la série : Cameron et Donna. Par le truchement de ses personnages féminins, Halt And Catch Fire réussit à prendre de la profondeur, décloisonnant les frontières entre vie intérieure et excitation professionnelle. Ces femmes ont dépassé le stade de la création artistique qui anime les premières heures de la série pour épouser pleinement leurs ambitions.
Celles-ci vont évoluer dans ce monde de requins, en devenir aussi. La Cameron prodige et asociale des débuts va se chercher, se confronter dans un monde qui ne veut pas d’elle, que ce soit en tant que femme, personnalité atypique ou codeuse. Joe cherche constamment la reconnaissance, Donna le contrôle et Gordon le moyen d’être aimé et en paix avec lui-même.
Les routes de ce quatuor ne vont alors pas cesser s’entrecroiser alors qu’ils s’opposent les uns aux autres à cause de leurs méthodes et de leurs désirs. Ces confrontations, dont la plus difficile et intéressante sera celles des ex-partenaires Cameron et Donna (encore), vont les faire grandir de la plus belle manière possible.
De création d’entreprises en évolutions numériques, le parcours professionnel devient le prisme par lequel on va explorer ceux qui le construisent ou le subissent. La révolution est intérieure et personnelle. D’une série sur l’informatique, elle en devient une sur l’exploration du code de ses personnages.
Alors qu’on l’a beaucoup assimilé à une simili Mad Men à ses débuts, Halt And Catch Fire a mué en son propre modèle, prête à être copier/coller. Par la création de l’avenir de l’homme, l’Internet, la série s’est mise à le questionner à un carrefour de son existence. Qu’est-ce qui le motive à créer ? Que se passe-t-il quand on atteint le point de non-retour ? Comment vivre avec autrui, romantiquement, professionnellement, amicalement ?
La dernière saison tend alors à faire le bilan de ces relations et des évolutions. Internet s’est mué en business et Donna a perdu la flamme. Il lui faudra ranimer le feu qui l’animait pour qu’elle puisse envisager l’avenir sereinement. Il n’en sera pas de même pour Gordon qui, outre la tragédie qui le touche lentement, veut seulement aimer et être aimé. Cameron, elle, et contrairement à Joe qui rêve de stabilité avec elle, tâtonne constamment, voyage, essaie de déterminer la prochaine étape de sa vie. Après s’être brulée les ailes dans le travail, elle veut simplement se retrouver.
Cette révolution qui émerge à l’époque est alors le décodeur du comportement humain, de son angoisse, de son incapacité à être dans quelque chose de durable, de stable. Et les derniers instants de la série vont dans ce sens, une conclusion parfaite où Joe, Cameron et Donna parviennent enfin à être en paix avec eux-mêmes, avec ce qui les animent.
En quatre saisons, Halt And Catch Fire sera passée par tous les stades de la métamorphose : du cocon un peu dur d’accès et compliqué à défaire, elle a su devenir progressivement une œuvre profonde, valant plus pour ses incroyables portraits que pour son exploration historique. Loin d’être éphémère comme on pouvait le penser à ses débuts, la série marque fortement et durablement : une nouvelle dans la cour des grandes.