La série médicale française existe. Le milieu hospitalier a déjà été peint à la télévision, mais sorti de la déjantée H, qui a vingt ans cette année (et qui n’avait rien de médical, admettons-le), et de la récente Nina, plus sentimentale que réellement hospitalière, le champ pour imaginer une série crédible sur le sujet était vaste. Faire porter le projet à la fois par le label Création originale de Canal et par le réalisateur/médecin Thomas Lilti était un signe sérieux que l’on n’allait rien sacrifier de la qualité au profit d’un spectacle grandiloquent. S’il n’était pas difficile de devenir la référence de la série médicale au vu de la production, Hippocrate s’impose avec ses huit épisodes comme une déjà grande série, tous genres confondus.
Thomas Lilti connaît la médecine autant que la fiction. Le réalisateur des films Hippocrate, Médecin de campagne et Première année poursuit en parallèle sa carrière de médecin généraliste. Un pied dans chaque camp qui permet à la série d’être un objet narratif impeccable — avec ses personnages bien caractérisés, des rebondissements — et une radio précise et actuelle du monde médical et hospitalier.
Nourrie à Urgences et à Dr House, références certes faciles néanmoins absolues de la fiction médicale, Hippocrate se veut à la fois ambitieuse et humble par rapport à ces modèles. La série essaye simplement de créer sa propre histoire avec ses propres moyens. Le pitch : l’équipe de médecins titulaires du service de médecine interne d’un hôpital parisien se voit être mis en quarantaine, laissant les internes plus ou moins livrés à eux-mêmes. De ce postulat potentiellement improbable, bien que le créateur s’en défende, Hippocrate semble crédible pour qui a déjà mis les pieds ne serait-ce qu’une fois dans un hôpital. Entre déambulations dans les couloirs, visites aux patients, échanges de diagnostics ou encore pauses clope derrière la sortie de secours, la série embrasse son sujet, sort peu de son cadre, et nous fait vivre avec force et fracas la vie quotidienne d’un service.
Bien aidée par les décors d’une aile désaffectée d’un réel hôpital francilien, l’équipe de Thomas Lilti peut immerger à 200 % dans la description d’un monde que la majorité du public ne connaît que d’une face, celui de l’usager des services hospitaliers, du patient. Dans les bureaux des équipes, dans les couloirs quand les portes de chambres sont fermées, dans le réfectoire des internes ou pendant les gardes de nuit, c’est une jungle, un univers foisonnant, risqué, rempli de petites mains passionnées. Au travers de quatre personnages plus ou moins expérimentés et tous soumis à une pression différente (réussite, santé, amour…), on découvre des êtres humains simples menant leurs propres combats.
Des relations que ces médecins peuvent tisser avec les patients à celles, entre collaboration et concurrence, avec les autres services, tout est finement analysé, subtilement dit (et non-dit). Les cas étudiés (la transition sexuelle, l’alcoolisme, le déni de grossesse…) ne sont pas très spectaculaires, mais permettent de s’attarder sur les personnes et leurs besoins, de les écouter pour mieux les soigner. Au-delà des effets narratifs obligatoires au rythme d’une série, c’est l’humain qui prime dans Hippocrate ; il est le cœur vibrant et battant de cette grosse machine qu’est l’hôpital public. Dans les petits bonheurs comme les grands malheurs, la solidarité est innée et on se serre les coudes quoiqu’il arrive.
La série s’engage et clame haut et fort que l’institution est fragile, et que le manque de moyens — le nerf de la guerre, comme toujours — fait courir à son personnel de gros risques. Sous-effectifs infirmiers, pénuries de remplaçants, matériel partagé entre les services rendent l’aide à la personne parfois ardue. Hippocrate, sans naïveté, montre que sans les aides-soignants, médecins, infirmiers, qui donnent souvent plus que de leur temps, ces pourtant immenses bâtiments ressembleraient à de simples châteaux de cartes.
Réaliste et romanesque, soignée et vibrante, portée par des acteurs très investis et ultra convaincants, Hippocrate possède déjà tout d’une grande série. Il y a enfin de quoi s’enthousiasmer pour une série médicale française, humaine et bienveillante, qui dépasse largement son genre et se distingue par sa modernité et son engagement. Au vu de la longévité des modèles américains précédemment cités, on a bien envie de se faire prescrire une nouvelle saison d’Hippocrate à l’approche de tous les prochains hivers…