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Séries Cucumber, Banana (& Tofu) : Fantasmes et réalités (sur Série Club)

Cucumber, Banana (& Tofu) : Fantasmes et réalités (sur Série Club)

Cucumber bilan - Cucumber, Banana (& Tofu) : Fantasmes et réalités (sur Série Club)

Russell T. Davies est l’un de ces scénaristes qui, avec le temps, sont parvenus à s’imposer comme garants d’un certain gage de qualité. Le succès mondial de Queer As Folk et son travail apprécié dans Doctor Who et The Sarah Jane Adventures en est d’ailleurs la juste preuve. Il ne fallait alors que peu d’arguments pour se lancer dans sa nouvelle trilogie, Cucumber, Banana & Tofu, diffusée sur le réseau Channel 4 entre janvier et mars 2015 et dont les deux premières séries arrivvent sur Série Club à la demande.

Trois shows aux formats différents, mais tous concentrés sur les problèmes du milieu LGBT. Un sujet que Russell T. Davies connait bien et qu’il prouve maitriser de bout en bout grâce à une écriture intelligente, drôle et tragique.

Cucumber, considérée comme la série mère, se centre sur Henry Best (Vincent Franklin), cinquantenaire dont le couple prend un tournant dramatique à la suite d’une soirée arrosée. Présenté comme quelqu’un de plutôt antipathique, Henry n’est pas de prime abord la personne avec laquelle il sera facile de s’identifier. Il est têtu, difficile, rêveur et souvent agaçant. Suivre ses tribulations est pourtant tout l’inverse de ses traits de caractère, puisque les personnages qui l’entourent parviennent sans grand mal à séduire et à devenir attachants. D’autant plus que l’essence de Cucumber ne réside pas forcément dans des protagonistes manichéens construits pour plaire et faire monter la température. Tous sont composés de nuances de gris appréciables et représentent, à leur façon, des problématiques actuelles du milieu LGBT. Henry n’est alors que celui autour de qui tout gravite. Sans être un véritable porte-parole, ses interactions en disent beaucoup sur une génération dirigée par sa sexualité.

C’est d’ailleurs dans ce cadre que Banana vient parfaitement s’inscrire en tant qu’intelligent complément de Cucumber. Chaque épisode se concentre sur un ou plusieurs personnages et s’amuse à mettre en lumière un pan de son histoire personnelle. Chacune d’entre elles semble dès lors chercher à répondre ou à simplement présenter un questionnement sur les nouvelles relations et la manière dont des vies qui s’entrechoquent s’influencent d’une façon ou d’une autre. Les épisodes 7 et 8 de Banana sont d’ailleurs de véritables bijoux pour ce qu’ils racontent. Que ce soit avec une remise en question cruelle de l’ouverture d’esprit prônée à tout bout de champ ou avec une belle histoire d’amitié créée en un instant malgré la barrière du langage, les deux épisodes réussissent brillamment à entrainer sur un grand-huit émotionnel.

Bien que couvrant des histoires sur des tranches générationnelles différentes, les deux séries sont intrinsèquement liées. Présent dès le premier épisode de Cucumber, Dean (Fisayo Akinade) apparait d’ailleurs comme étant un agent liant qui vient connecter les uns aux autres de façon plutôt naturelle. L’épisode 8 de Cucumber permet également de comprendre comment certains personnages de Banana se sont retrouvés à graviter les uns avec les autres. Tout s’agence ensuite comme une sorte d’apothéose dans l’ultime épisode de la « série mère », où l’idée du collectif, en plus de souligner l’effort de deuil d’Henry, apporte un sentiment de logique bienvenu pour un dénouement doux et amer.

Finalement, il n’est pas difficile de percevoir le travail de Russell T. Davies comme un essai sur le sexe et l’homosexualité. Contrairement à une série comme Looking qui possède un côté beaucoup plus glamour, Cucumber & Banana se permettent une démonstration beaucoup plus crue et pathétique des relations dernières générations, en posant des questions fortes et intelligentes. Henry a beau avoir ce petit quelque chose de détestable, il est impossible de ne pas s’inquiéter pour lui ou son entourage qui semble à la dérive sur bien des points.

Lance, son ex petit-ami, en est l’exemple parfait. En autre parce qu’il démontre que ce qui est le plus important n’est pas la réponse obtenue, mais le cheminement et les raisons qui ont poussées à prendre ce chemin bien particulier. Il y a comme une sorte de désespoir ambiant qui prend tout son sens face à une réalité bien plus triste qu’il n’y parait. La trilogie n’accable en rien le milieu LGBT, elle se contente de révéler des vérités qui ne sont pas forcément les sujets de prédilections des shows les plus sulfureux, ce qui est d’autant plus rafraichissant et respectable. La série documentaire Tofu parachève alors parfaitement le travail de fiction en faisant un approfondissement des problématiques posées. La forme se prête sans aucun problème à l’exercice avec un ton qui est tout de suite plus léger et qui, d’une certaine manière, en devient extrêmement ludique.

Dans l’ensemble, cette nouvelle trilogie de Russell T. Davies pourrait sans aucun doute être considérée comme une véritable réussite. Son parti pris d’explorer ses thématiques en univers parallèles et connexes permet de faire fonctionner la dynamique à des niveaux de lecture intelligents. Les personnages en ressortent gagnants tout comme l’effort de comédie et de drame qui ne perd jamais en intensité tout au long de la saison. Il est dès lors dommage que la série ne se poursuive pas pour une saison supplémentaire, puisqu’elle a été travaillée comme un projet unique. Mais c’est finalement d’autant plus logique que la fin de Cucumber est un véritable dénouement, qui, en quelques mots de la part d’Henry, vient résumer l’essence même du travail réalisé sans que rien ne soit jamais édulcoré.


Cucumber et Banana sont disponibles dès ce 1er mai sur Série Club À La Demande. Elles sont aussi présentes sur myCANAL, en version originale sous-titrée, pour les abonnés à Canal+ & Canal Séries.