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Elementary vs Sherlock : Un détective, deux visions distinctes

Sherlock Elementary - Elementary vs Sherlock : Un détective, deux visions distinctes

L’adaptation est monnaie courante à la télévision qui puise souvent dans ce que la littérature a donné de mieux (Les Misérables, War And Peace, And Then There Were None) et de moins bien (Pretty Little Liars, Gossip Girl) pour y bâtir une histoire qu’elle veut singulière, mais familière. Le phénomène n’est pas nouveau et le cas de Sherlock Holmes, héros des nouvelles de Sir Arthur Conan Doyle, est particulièrement révélateur et intéressant à regarder.

Qu’il s’agisse du Sherlock de Steven Moffat ou de celui d’Elementary, le célèbre détective suscite depuis longtemps l’engouement chez les scénaristes et réalisateurs en tout genre et trouve presque toujours son public. Pourtant, pour qu’un projet de série soit viable et un minimum pertinent ou du moins intéressant, il lui faut un twist qui le différencie du reste. Ce sont dans ces petites et grandes différences avec le matériau original que réside l’intérêt que l’on peut porter à Sherlock ou Elementary.

S’il n’est pas ici question de hiérarchiser les séries entre elles, nous pouvons constater que les deux œuvres actuelles mettant en scène l’impayable détective et son acolyte Watson sont radicalement distinctes. Leurs composants construisent deux séries à l’identité reconnaissable et qui exploitent le canon littéraire par un angle d’approche propre et pertinent.

Les deux Sherlock

D’un côté, nous avons un Sherlock modernisé, complètement absorbé par la technologie du XXIème siècle, se démarquant alors sensiblement de son modèle littéraire. De l’autre, l’enquêteur s’est exilé à New York pour échapper à son addiction et trouver un semblant de paix après la disparition de son grand amour. Le point de départ diffère et nous voyons donc deux détectives qui ont finalement peu de choses en commun.

Celui incarné par Jonny Lee Miller n’est pas un sociopathe, il a simplement un intellect qui le met en situation de distanciation par rapport à la société. Son attachement à Watson (Lucy Liu), son amour pour Irene (Natalie Dormer), sa compassion pour certains clients ou accros anonymes le construisent comme un homme qui est capable d’aimer, mais qui ne sait pas comment faire. Les scénaristes ont choisi de mettre l’accent sur son addiction, élément existant dans les nouvelles, mais peu développé. En tirant sur ce fil, cela nous donne un Sherlock complexe et profond, parce qu’il comprend la vie et ses aspérités et y participe pleinement même s’il se donne souvent l’illusion de ne pas le faire. Le Sherlock d’Elementary est simplement quelqu’un d’étrange et intelligent.

Steven Moffat a choisi, lui, de déshumaniser totalement sa version de Sherlock. Le détective entretient des relations, créent des connexions avec les autres, mais celles-ci se révèlent en majeure partie un simple moyen de développer son esprit, les humains étant aussi utiles que les ordinateurs et smartphones que son cerveau absorbe. Le Sherlock interprété par Benedict Cumberbatch transforme la sociopathie insinuée dans les nouvelles littéraires en un homme-machine qui ne ressent pas, mais analyse, pour qui les sentiments sont des indices et des données utilitaires au seul jeu qui le fait vivre : l’enquête.

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Des visions différentes, des séries différentes

Ces enquêtes sont alors la raison d’exister de Sherlock. Elles le font avancer comme un roi dans une partie d’échecs. Son face-à-face avec Moriarty (Andrew Scott) participe pleinement à cette vision du monde, des victimes de chacun des cas dont il s’occupe comme des pions sur un damier invisible. Il n’y a plus de notion de danger pour lui ou de justice pour les morts, seulement l’excitation de résoudre un problème et de prendre l’ascendant sur son adversaire. Point de morale aussi pour un Sherlock qui ne s’occupe que très peu de savoir si ses actions ont un sens pour la société ou des répercussions sur ses proches, en particulier Watson (Martin Freeman). Le détective veut l’échec et mat à chaque fois, quitte à ne pas donner d’importance à sa vie ou aux sentiments qu’il peut invoquer chez les autres, même face à sa propre « mort ».

Sherlock Holmes dans Elementary a bien plus de scrupules et propose ses services avec une déontologie peut-être ambiguë, mais une préoccupation plus profonde, quoique bien cachée derrière son arrogance. Les cas sur lesquels le consulte le capitaine Gregson doivent l’intéresser pour qu’il s’investisse, que ce soit par compassion pour la victime ou pour le challenge représentée. Mais son association avec Watson l’amène souvent à voir la pertinence de son aide même quand il ne la voit pas. De plus, s’il tombe souvent juste dans ses déductions, il a un souci de faire comparaitre les coupables devant la justice, de clôturer les crimes dans le cadre de ce qui est socialement admis et requis : la justice.

La constante Watson

Si dissemblables soient ces deux versions d’un même anti-héros, il y a une constante entre elles qui ne diverge que très peu : Watson. Le fidèle acolyte reste, aussi bien dans Sherlock que dans Elementary, le pilier qui tient le détective dans le droit chemin. Il est son compas moral et social, une nécessité pour garder les pieds sur terre, l’esprit clair et sain ou ne serait-ce qu’un semblant d’humanité.

La principale spécificité est que le Watson d’Elementary est une femme. C’est d’ailleurs son premier argument d’accroche quand la série débute. John Watson devient Joan Watson (Lucy Liu), une ancienne chirurgienne reconvertie dans l’accompagnement d’anciens drogués. Et contrairement à son homonyme britannique et masculin, Joan voit clair dès le départ en Sherlock et s’impose en quasi-égal de l’homme, parvenant bien souvent à le surprendre et à, comme qui dirait, être l’élève qui dépasse le maître. Le personnage réussit également à se construire une vie en dehors de son association avec son nouvel ami, lui donnant alors un recul nécessaire et intelligent sur sa vie actuelle.

John Watson made in Martin Freeman est, quant à lui, un homme bien solitaire avant sa rencontre avec Sherlock. Brisé par la guerre à laquelle il vient de participer, il se trouve en état de détresse morale et physique lors de leur premier échange. À l’inverse d’Elementary, c’est Sherlock qui va d’abord aider Watson à se redresser, entraînant un lien de dépendance qui ne se dit pas et qui finira par devenir une étrange amitié, parfois à sens unique. Leur duo prend souvent le pas sur la vie intime de l’ancien médecin, ne lui offrant que très peu d’espace pour respirer. Watson est donc plus une ancre dans la vie de Sherlock qu’un atout essentiel aux enquêtes policières dans lesquelles il joue le rôle d’assistant.

*  *  *

Sherlock et Elementary ont chacune leurs propres caractéristiques qui permettent autant de les différencier l’une de l’autre que de les rendre pertinentes à leur niveau. On peut avoir sa préférence, la mienne allant à Elementary que je trouve plus profonde dans l’approche des personnages – et bien que j’admire la façon dont Sherlock aborde son statut de fiction et de personnage connecté donnant une série plus virtuose, mais plus froide. Pourtant, l’existence du duel montre bien que l’exercice de l’adaptation peut mener à des variations sur un même thème, variations tellement distinctes que chacun peut y trouver son compte – et son Sherlock.

La saison 5 d’Elementary débute sur CBS le 2 octobre, tandis que la saison 4 de Sherlock arrivera cet hiver sur BBC One.