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Séries Le Bureau des légendes ou l’espionnage français sans dessus dessous

Le Bureau des légendes ou l’espionnage français sans dessus dessous

Le bureau des legendes canal - Le Bureau des légendes ou l’espionnage français sans dessus dessous

Allez, lâchons l’expression une fois, puis passons à autre chose : « Homeland à la française ». Série située dans le monde de l’espionnage et du contre-espionnage français – au sein de notre service de renseignement la DGSE –, Le Bureau des Légendes présente maintes ressemblances avec la série américaine de Showtime. Espions à la double vie, trahisons au sein des services, éléments personnels interférant sur les missions, difficile de passer à côté de ces pièces narratives déjà utilisées – et pour certaines usées – par le genre.

Réduire Le Bureau des Légendes à ce slogan serait se priver d’une grande partie du plaisir de regarder la première série « Création originale » de Canal+ à avoir tenu le pari de la régularité, avec un écart d’une année pile entre ses deux saisons.

Quand Malotru (aka Paul Lefevre, aka Guillaume Debailly – interprété par Mathieu Kassovitz) rentre de trois ans de mission en Syrie pour réintégrer le bureau des légendes et gérer la formation des nouvelles recrues, il ne pense pas que la mission l’a involontairement suivie. Pris dans un engrenage qu’il sait extrêmement dangereux, Malotru va devoir lever les doutes de sa hiérarchie sur sa loyauté, tenter de sauver la personne qu’il aime d’une situation qu’il a lui-même provoquée et assurer l’entraînement et le suivi des nouveaux agents du service. Le Bureau des Légendes devient alors une gigantesque toile d’araignée, dans laquelle notre meilleur espion se retrouve piégé et qui va s’agiter pour tenter de s’en sortir.

C’est donc, avec tous les ressorts narratifs cités plus haut et propres à une série, une véritable plongée dans le monde de l’espionnage qui nous est proposée. Néanmoins, la vision de l’espionnage de l’équipe d’Éric Rochant (showrunner et réalisateur de plusieurs épisodes) se joue principalement chez nous, en plein cœur de Paris. Le Bureau des Légendes est avant toute chose, et c’est sa principale qualité, une série de bureau. Si la saison 2 s’exporte beaucoup plus à l’étranger et nous fait voir du pays, la première saison nous introduit des salles de réunion/de crise, des open space, des bureaux mal éclairés… où toute la sécurité du pays et des agents qui le protège dans le monde se joue dans un décor finalement très simple et tout à fait réel. Il se dessine sous nos yeux un monde assez proche car très quotidien : les salariés rentrent avec un simple badge ; ils déjeunent à la cantine interne de la société ; ils échangent des conversations anodines à la machine à café ; ils partagent des verres quand une occasion de célébration se présente… Preuve la plus importante, quand Moule À Gaufre (le patron du bureau des légendes) parle de la DGSE, il l’appelle « la boîte », comme n’importe quel employé d’entreprise. Mais une entreprise aux enjeux énormes, qu’il faut protéger, préserver et surtout servir avec intégrité.

Si l’action, les intrigues aux ramifications internationales et les missions secrètes font partie intégrante du show, Le Bureau des Légendes n’oublie pas les petites mains et les grands yeux qui observent, qui coachent, qui écoutent les agents à l’autre bout du monde, des agents moins sexy et aventuriers, mais indispensables au bon déroulement des missions. La première saison s’affaire particulièrement bien à montrer les rouages d’une entreprise dont le secret est l’objectif principal. Segmentation des infos entre agents et services, niveaux d’autorisation à respecter, formation des agents exigeante… Au bureau des légendes, la vie d’un agent et la décision de le secourir se mesurent à la valeur des informations qu’il pourrait avoir, au risque de perdre d’autres agents en mission de sauvetage et aux retombées politico-diplomatiques qu’elle engendrera.

Car la série n’a pas peur de grand-chose. Syrie, Iran, Daesch, Bachar El-Assad, CIA, Le Bureau des Légendes joue clairement sur le terrain réaliste et contemporain des conflits qui agitent le monde. Chasse aux terroristes, infiltration auprès de jeunes radicalisés partis rejoindre l’État islamique, agents au plus près des secrets du nucléaire iranien, TOUT dans Le Bureau des Légendes résonne avec l’actualité, particulièrement en saison 2. Audacieuse vis-à-vis de tous ces sujets, la série n’hésite pas à pousser le curseur du danger et mettre ses personnages dans des situations extrêmes, desquelles ils ne ressortiront pas indemnes.

À ce jeu, c’est évidemment Malotru/Debailly qui joue le plus avec le feu. Conscient du pétrin dans lequel il s’enfonce et des fautes qu’il commet envers son employeur à des fins personnelles, l’agent français est à la fois un personnage fascinant par son investissement, mais également un peu trop stéréotypé. Comme Jack Bauer ou Carrie Mathison, les affres personnelles du héros plombent parfois les enjeux d’épisodes pourtant chargés en tension dramatique. Rien d’alarmant cependant, mais toujours le constat de la peur du vide émotionnel qui envahit les scénaristes à propos de certains de leurs personnages. Autour de Kassovitz, parfait, la galerie d’acteurs est l’un des nombreux points forts de la série : Sara Giraudeau, Jean-Pierre Daroussin, Léa Drucker et même Brad Leland (l’impayable Buddy Garrity de Friday Night Lights) en agent de la CIA composent un ensemble sans fausse note.

Le Bureau des Légendes figure, avec seulement deux saisons, parmi les meilleures séries françaises. Ambitieuse, aux prises avec l’actualité la plus récente (et la plus dramatique), au casting irréprochable, à la réalisation tendue et au suspense quasi permanent (diabolique dernier épisode de la saison 2), la série affiche une sérieuse connaissance du monde tel qu’il est pour un rendu réaliste, et possède la volonté farouche de faire une vraie belle série aux rebondissements bien dosés, aux fils narratifs lisibles s’imbriquant dans des intrigues solides. La troisième saison, commandée, en écriture et avec l’ambition de garder le même rythme de diffusion, devrait au moins autant en imposer.

Les deux premières saison du Bureau des Légendes sont disponibles à la vente. Un coffret les réunissant est annoncée pour octobre 2016.