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Séries The Little Drummer Girl : Géopolitique de la réalité et de la fiction

The Little Drummer Girl : Géopolitique de la réalité et de la fiction

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The Little Drummer Girl Florence Pugh - The Little Drummer Girl : Géopolitique de la réalité et de la fiction

Qui est-ce qui prétend le mieux : un espion ou un acteur ? Et s’ils étaient les deux ? Mini-série scénarisée par Claire Wilson et Michael Lesslie qui a été réalisée par Park Chan-Wook (Mademoiselle, Old Boy) et diffusée sur AMC et BBC One, The Little Drummer Girl mêle ces deux faces d’une même pièce quand Charlie (Florence Pugh), une jeune actrice, est recrutée par Gabi Becker (Alexander Skarsgârd), un agent du renseignement israélien lors d’un séjour en Grèce. Elle va alors faire partie d’un complot orchestré par Martin Kurtz (Michael Shannon) qui va l’entraîner dans un jeu de dupes plus dangereux qu’elle n’aurait pu l’imaginer.

Une bonne adaptation a besoin d’une vision solide et celle de Park Chan-Wook s’inscrit parfaitement dans celle de John Le Carré — dont le livre sert de base à la série — tout en se distinguant de ce qui a été fait précédemment de lui. Il réussit à injecter son identité de réalisateur dans ce récit sans l’effacer, par une mise en scène inventive et qui est toujours au service de ses personnages et de l’histoire.

Quand la fiction et la réalité ne deviennent qu’une, l’actrice devient alors l’espionne et la menace réelle. En jouant sur les perceptions du personnage et sur l’histoire d’amour entre Charlie et Gabi, Park Chan-Wook pouvait rendre son récit plus conceptuel et léger qu’un thriller d’espionnage ne le demande. Loin de là, il construit une réflexion sur le pouvoir des mots et des illusions, celui-ci s’appliquant alors à un contexte qui se prête extrêmement bien aux faux-semblants et aux non-dits. La série réussit à en tirer des scènes incroyables, notamment celle dans l’épisode 2 où Charlie ne sait plus si elle est seule ou en débriefing alors qu’elle s’entraîne à avoir une relation avec Gabi.

Ce qui est vrai, ce qui est faux, tout est la question au sein de ces six épisodes. La mise en scène, magistrale en tous points, traversée de fulgurances de montages, de split-screens et de prises de vues, en joue pour nous montrer les angles morts de la narration, nous faire découvrir des perspectives que nous n’avions pas vu ou pour intensifier le drame qui se joue. Ce qui relève de la vérité et du mensonge, c’est aussi le cœur du métier d’actrice, jusqu’à mettre le doute dans ses motivations quand le dernier épisode arrive : a-t-elle été retournée en tant qu’agent double ou joue-t-elle encore le jeu pour mieux réussir sa mission ? La tension est présente et même nous, spectateurs émerveillés, restons dans l’indécision alors que nous avons les deux côtés de ce théâtre de dupes.

« Play the scene, Charlie » — Martin.

Le récit de The Little Drummer Girl est construit en actes, une pièce théâtrale où la tension monte à mesure que la réalité de leurs illusions se matérialise. Dans ce sens, le talent d’actrice de Charlie lui sera utile, non pas dans une mission comme on pourrait l’attendre et c’est là l’intelligence de la mini-série, déjouer constamment nos attentes. Cela lui servira pour survivre, pour se défendre et donc pour prendre possession des scènes et d’elle-même.

Ce personnage en est d’autant plus intéressant qu’il contrevient sur bien des points à l’ingénue du récit d’apprentissage. Même si toute l’équipe autour d’elle l’aide et la briefe sur son rôle, elle parvient toujours à prendre les choses en main. Sa proactivité, que l’on retrouve également dans sa relation amoureuse, contraste alors avec le statisme de Martin Kurtz, espion clandestin, qui, en dehors de l’interprétation de Michael Shannon, n’a finalement que peu à faire et reste longtemps anecdotique.

Alexander Skarsgard n’a lui que peu à dire, mais il a cette présence électrique, mutique, mais incroyablement séduisante. Gabi se révèle peu à peu à nous, de cette aura mystérieuse dès la rencontre en Grèce à son acharnement à sauver celle qu’il a appris à aimer malgré son formatage d’espion. Son jeu se dévoile à mesure que celui de Skarsgard se fait plus expressif, plus inquiet et plus amoureux. The Little Drummer GIrl, c’est aussi une histoire d’amour qui va se jouer des faux-semblants et des couvertures pour mettre à jour des sentiments contradictoires et puissants, une épique relation intrinsèquement liée à la mission et donc au contexte.

Le fond politique ne reste pas un accessoire pour autant. Si pendant les quatre premiers actes, il sert surtout de cadre à développer les personnages, leurs motivations et leurs relations, les deux derniers nous y plongent complètement, en donnant la complexité qui pouvait lui manquer sans rogner sur les protagonistes. Voir Charlie d’un côté et le reste de l’autre offre une portée émotionnelle qui justifie alors l’angle du conflit israélo-palestinien et forme un nœud dramatique puissant quand la machine d’espionnage s’emballe. Elle n’est pas là par conviction politique mais reste par empathie, elle n’est qu’une actrice comme dit dans le dernier épisode, d’une tension exceptionnelle, ce à quoi on lui répond : « so you don’t believe in anything ». Est-elle devenue son rôle ?

Ce qui pouvait s’apparenter à un jeu sans réelle conséquence monte alors en tension à mesure d’épisode et d’implication dans la réalité d’un enjeu politique complexe. The Little Drummer Girl est alors une œuvre aboutie et intéressante, une mini-série qui a déjà tout d’une des plus grandes, tant par son esthétisme que par son récit, ses personnages et sa vision singulière et essentielle.


Publié en novembre 2018, cet article est aujourd’hui remis en avant à l’occasion du début de la diffusion de The Little Drummer Girl en France sur Canal+ ce jeudi 14 mars 2019 à partir de 21h00.

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