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Fanny Herrero, créatrice de Dix pour Cent : ‘Nous voulions éviter à tout prix de ricaner sur le statut des acteurs de cinéma’

Dix pour cent serie francaise france 2 - Fanny Herrero, créatrice de Dix pour Cent : 'Nous voulions éviter à tout prix de ricaner sur le statut des acteurs de cinéma'

Déjà bien installée en tant que scénariste dans la fiction française, Fanny Herrero s’est retrouvée propulsée à la tête de l’équipe d’auteurs en charge de Dix Pour Cent, la nouvelle série de France 2 sur le milieu des agents artistiques. Une fiction différente du reste de la production actuelle sur un sujet original et décalé et donc difficile à développer, selon les mots de la scénariste, à la fois par son côté novateur, mais également à cause des acteurs et actrices qui ont parfois longtemps hésité avant d’accepter de jouer leur propre rôle.

CRITICTOO : Comment est née l’idée de cette série et comment êtes-vous arrivée sur ce projet ?

FANNY HERRERO : C’est d’abord Dominique Besnehard, LE grand agent de stars, devenu producteur de cinéma, qui avait en tête de faire une série sur ce milieu des agents artistiques qu’il connait si bien. Il a trouvé Nicolas Mercier, scénariste de Clara Sheller, puis ils ont commencé à développer la série pour Canal +. Ça ne s’est finalement pas fait avec la chaine cryptée pour diverses raisons. Le projet a alors pas mal stagné. Puis Harold Valentin, producteur pour France 2 (Fais pas ci, fais pas ça, Clara Sheller) s’est intéressé à la série, a mobilisé la chaîne, a trouvé un terrain d’entente de développement (plus grand public, plus accessible…) et a recruté des scénaristes, dont moi. France 2 a eu à son tour des hésitations, malgré les nombreux remaniements déjà effectués. Nicolas Mercier, qui portait le projet depuis longtemps, a jeté l’éponge, et c’est à moi que l’on a demandé de reprendre l’écriture. J’avais écrit l’épisode 3 sur les « fils et filles de » dans le cinéma (qui n’avait pas encore de guests pour les incarner) et il est devenu le mètre étalon de ce qu’allait devenir la série. Nous avons donc travaillé dans cette direction, en s’appropriant encore plus les personnages et nous avons livré quelque chose qui a convaincu la chaine publique. Le chemin a donc été assez long.

CRITICTOO : Hormis Un village français, vous avez plutôt travaillé sur des comédies (Les Bleus, premiers pas dans la police, Fais pas ci, Fais pas ça). Celle-ci était elle différente à écrire ?

FANNY HERRERO : Oui, très. Il s’agit ici d’une vraie dramédie, genre pas tant représenté que cela à la télé française. Et puis le côté « comédie de bureau » a aussi été peu fait chez nous. Il faut rajouter que nous dépeignons un milieu très spécifique, le monde du cinéma et des agents, peu connu du public et qui nourrit beaucoup de fantasmes. Il y avait donc beaucoup de codes à inventer pour que le téléspectateur s’y retrouve, contrairement aux séries sur la famille ou la police qui sont très intégrées.

CRITICTOO : D’où la présence d’un ressort narratif un peu classique, à savoir Camille, la fille d’un des agents artistiques qui débarque et intègre la société de son père, pas très enclin à la voir évoluer dans ce milieu, et surtout à ses côtés ?

FANNY HERRERO : Effectivement. Il fallait que l’on puisse introduire ce monde par les yeux de quelqu’un qui ne le connait pas. Nous aurions pu nous concentrer uniquement sur les trois agents, mais il fallait un élément extérieur qui permette l’identification, sans quoi l’univers serait peut-être resté un peu trop opaque.

CRITICTOO : L’agence ASK est un lieu très théâtral, avec ses entrées/sorties de scène, ses situations de quiproquos, notamment celle où Cécile de France vient voir son agent Gabriel, où l’espace compte beaucoup. La série est-elle très écrite ou la mise en scène a rajouté quelques effets comiques ?

FANNY HERRERO : La série a une rythmique assez inédite, impulsée principalement par les dialogues, effectivement très écrits. Il fallait donc respecter cette dynamique, j’y tenais beaucoup et les réalisateurs ont bien joué le jeu. Après, évidemment, lorsqu’on écrit, on ne sait jamais réellement à quoi vont ressembler les décors finis, donc il y a forcément une part de mise en scène pour la construction des scènes.

CRITICTOO : Comment avez-vous écrit pour les acteurs et actrices jouant leurs propres rôles ? Fallait-il qu’ils aient déjà accepté de figurer dans la série pour leur faire du « sur mesure » ?

FANNY HERRERO : Ça a été un parcours semé d’embûches. L’écriture a été forcément influencée par l’imposant carnet d’adresses de Dominique Besnehard, qui nous parlait d’untel ou untel qui avait accepté et donné un accord de principe. Mais un accord de principe ne veut pas dire grand-chose et certains disaient finalement non. Même la présence de Cédric Klapisch (à la réalisation de deux épisodes, NDLR) n’a pas toujours suffi à convaincre certains comédiens que nous avions en tête. Ça a créé beaucoup de tensions. Nous avions donc des rôles types qui pouvaient convenir à certains acteurs et actrices, puis à mesure que certain(e)s avaient bel et bien accepté, nous pouvions travailler avec eux à l’élaboration de leur « personnage de fiction ».

CRITICTOO : Justement, comment éviter l’effet guest-starring de ces comédiens, de passage pour un épisode seulement ?

FANNY HERRERO : Nous avions comme principal objectif de ne jamais être dans l’anecdote, dans le sketch. La présence d’un acteur ou d’une actrice devait dépasser le clin d’œil et apporter de la sincérité à l’univers. La série développe une thématique par épisode qui, en intégrant une célébrité, devait nous permettre de traiter vraiment le sujet. Ce qui arrive à Cécile de France dans le premier épisode, se faire rejeter parce qu’elle est « trop vieille », arrive ou est arrivée à beaucoup d’actrices de son âge. Nous ne voulions pas jouer sur le côté «  caprices de stars », créer juste des vannes autour de leurs personnages. La série a comme ambition également de raconter la culture et le cinéma en 2015, il fallait donc éviter les effets d’apparition au maximum.

CRITICTOO : Et éviter la caricature.

FANNY HERRERO : Oui. Pour cela, nous devions « décaler » la partition des comédiens, s’inspirer de leur parcours tout en brouillant les pistes, et leur proposer des choses qu’ils n’ont jamais faites. Par exemple, pour Julie Gayet, qui joue dans un des derniers épisodes de la saison, il était inenvisageable de faire allusion à sa vie privée. Pas à sa demande, mais pour nous. Le public l’aurait attendu et c’aurait été trop facile. Cela n’empêche pas de tourner un peu autour, de jouer avec, mais il s’agissait surtout de penser à la personne qu’elle est, ce qu’elle représente dans le cinéma français et ce que nous pouvions en faire. Avec elle ou quelqu’un d’autre, nous voulions éviter de ricaner de leur statut.

CRITICTOO : C’est d’ailleurs un regard assez tendre que les agents posent sur leurs clients. La relation Gabriel/Cécile de France est très touchante de ce point de vue.

FANNY HERRERO : C’est ce qui se passe dans la vie de ces hommes et femmes. Les agents sont des fois frères, sœurs, mamans, nounous, confidents, meilleurs amis, des fois tout ça à la fois. Certains comédiens partent en vacances avec leur agent. Nous voulions montrer autre chose que le cliché du requin qui existe, nous le montrerons également un peu, mais simplement aller au-delà et montrer une alliance forte et une interdépendance des acteurs avec ces personnages de l’ombre.

Dix pour Cent. Une série créée par Fanny Herrero. Saison 1 de six épisodes. Tous les mercredis pendant trois semaines à partir du 14 octobre sur France 2